De Vancouver à Gatineau: La santé mentale des hommes qui aiment les hommes

la sante Samuel Gauthier Intervenant, programme Entre hommes De Vancouver à Gatineau: La santé mentale des hommes qui aiment les hommes

C’est par une belle journée ensoleillée que je suis arrivé à Vancouver, le 7 novembre dernier, pour assister au Sommet annuel en Santé des hommes gais organisé par le Community-based research centre (CBRC). Cette année, la thématique portait sur la santé mentale des hommes qui aiment les hommes. Intitulé  «Comment va la tête? », cette rencontre pancanadienne a rassemblé des chercheurs, intervenants communautaires, infirmiers, étudiants ou toute autre personne concernée afin d’échanger et s’enrichir des plus récentes découvertes sur le sujet. Étalé sur deux journées bien remplies, le sommet comptait une pléthore d’ateliers et de panels d’invités. Des présentations de programmes innovateurs, de nouvelles techniques d’intervention en santé mentale, des partenariats avec des communautés autochtones : il y en avait sur (presque) tous les sujets touchant la santé mentale des hommes qui aiment les hommes. Par conséquent, résumer ces deux jours de sommets serait trop long et je risquerais de vous perdre dans les bras de Morphée. Je m’en tiendrai donc à une présentation qui résume assez bien les grandes lignes présentes en filigrane tout au long de ce colloque. Elle s’avère également pertinente dans la mesure elle trouve une résonnance ici aussi, dans notre belle région de l’Outaouais.

Projet Photovox et sondage Still here

Olivier Ferlatte, doctorant affilié au BC Centre of Substance Use et au département de médecine de l’université de Colombie-Britannique, nous a parlé du projet Photovox et du sondage Still here. Ces deux initiatives répondaient à deux constats importants : le nombre de cas de dépression et de tentatives de suicide est plus important dans la communauté GBTQ que dans la population générale. En effet, du côté de la dépression, les hommes qui aiment les hommes sont deux fois plus à risque de faire une dépression que les hommes hétérosexuels (30% vs 15%)[i]. Par ailleurs, ils ont trois fois plus de pensées suicidaires et passent trois fois plus souvent à l’acte que les hommes hétérosexuels (PS 30% vs 10%; PA 15% vs 5%)[ii]. Ces chiffres alarmants sont le reflet de difficultés vécues par ces hommes. Afin d’expliquer ces difficultés, Olivier Ferlatte nous a présenté le modèle de stress minoritaire élaboré par Meyer[iii]. Brièvement, ce modèle permet de décrire et de comprendre les impacts psychologiques de l’hétérosexisme[iv] sur les personnes de la diversité sexuelle et de genre. Par exemple, le fait que les hommes qui aiment les hommes soient minoritaires au sein d’une majorité d’hétérosexuels peut engendrer un stress supplémentaire en lien avec certains préjudices ou de la discrimination vécus en raison de leur statut minoritaire (rejet, homophobie, perte d’un emploi, etc.) Ce stress impacte donc la structure cognitive de l’individu et il est possible qu’il en découle des symptômes à l’instar de l’anxiété, de la dépression et/ou des tentatives de suicide. Mais que faire, alors?

C’est à cette question que le projet de M. Ferlatte et de son équipe a tenté de répondre. La première partie du projet consistait à équiper les participants (76)  d’un appareil photo avec lequel ils pourraient prendre des clichés de leur quotidien en lien avec leur santé mentale et le fait qu’ils fassent partie d’un groupe minoritaire dans la société. Ces photos étaient accompagnées de réflexions des participants. Cet exercice a mis en lumière l’effet thérapeutique et révélateur de l’art comme moyen d’exprimer ses émotions et ses pensées et agir ainsi en catharsis face aux difficultés rencontrées dans leur quotidien. Le sondage, quant à lui, auxquels 2778 hommes ont répondu, a fait ressortir des pistes de solutions pour contrer le phénomène de la dépression et des tentatives de suicide dans la communauté GBTQ. En voici les grandes lignes:

  1. Lutter contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie
  2. Lutter contre la stigmatisation des problèmes de santé mentale
  3. Offrir des services de counselling sensibles aux réalités des hommes qui aiment les hommes, à faibles barrières d’accès et de longue durée
  4. Améliorer la littératie[v] en matière de dépression et de suicide
  5. Briser l’isolement par l’entremise des connexions communautaires et du soutien par les pairs
  6. Favoriser la créativité et la résilience culturelle

À la suite de ces pistes de réflexion, M. Ferlatte a terminé son exposé sur des initiatives canadiennes qui ont pour objectifs de favoriser la résilience des membres de la communauté GBTQ.

Une résonnance en Outaouais

L’expérience de l’équipe de M. Ferlatte a bien un écho dans la région de l’Outaouais. En effet, l’accessibilité des services en santé mentale dans la région fait face à des enjeux majeurs quant à sa capacité à prendre en charge les nouvelles demandes. Les listes d’attentes s’allongent de plus en plus pour rencontrer un professionnel en santé mentale. Il n’est pas rare de devoir attendre plus d’un an avant de rencontrer un professionnel de la santé mentale en Outaouais. Qui plus est, la formation des intervenants en santé mentale en lien avec les enjeux particuliers de la communauté GBTQ est loin d’être uniforme et adéquate. Un grand nombre d’hommes gais, par exemple, ne se sentent pas confortable de parler de leur homosexualité à leur médecin de famille ou à leur thérapeute[vi]. La durée du suivi psychologique dans les services publics cause également problème, cette dernière se limitant à 15 rencontres, ce qui est souvent trop court pour bien accompagner une personne. L’isolement de certains hommes dans les localités rurales est un enjeu important dans une grande région comme la nôtre. L’absence de lieu de socialisation (groupe d’entraide, bars, activités sociales) sont peu nombreux, voire inexistant. Enfin, l’insuffisance chronique du financement des organismes communautaires en santé des hommes qui aiment les hommes fait également partie du problème.

Ne pas baisser les bras

La présentation d’Olivier Ferlatte et l’ensemble du sommet à Vancouver réaffirme une fois de plus l’importance de militer pour des actions positives afin de favoriser la santé mentale des hommes qui aiment les hommes. L’approche structurelle[vii] issue du travail sociale souligne l’importance des actions de première ligne, de bien comprendre les dynamiques relationnelles des individus, mais aussi de changer les structures politiques et sociales afin de lutter contre la stigmatisation de certaines populations au profit de groupes majoritaires.  Il est possible d’affirmer que l’émergence de certaines initiatives communautaires comme le programme Entre hommes ou MAX Ottawa et de certains groupes issus des populations touchées comme le groupe Gais francophone de l’Outaouais permettra d’offrir plus de services aux hommes qui en éprouveront le besoin. Toutefois, la défense de droits des minorités GBTQ, l’éducation sexuelle en milieu scolaire et le militantisme seront primordial afin de changer les structures oppressives envers la diversité.

 

Samuel Gauthier,

intervenant programme Entre hommes,

BRAS Outaouais

Entree Hommes


[i] Que faut-il faire? La prévention du suicide et de la dépression chez les individus issus de minorités sexuelles et de genre (MSG), Olivier Ferlatte, Summit 2018

[ii] Idem

[iii] Prejudice, Social Stress, and Mental Health in Lesbian, Gay, and Bisexual Populations: Conceptual Issues and Research Evidence, Meyer, 2003

[iv] L’hétérosexisme réfère à l’affirmation de l’hétérosexualité comme norme sociale ou comme étant supérieure aux autres orientations sexuelles. Il découle de l’hétérosexisme des pratiques culturelles, sociales, légales et institutionnelles qui nient, ignorent, dénigrent ou stigmatisent toutes formes non hétérosexuelles de comportements, d’identités ou de relations. Définition tirée du site Interligne, http://interligne.co/faq/quest-que-lheterosexisme/

[v] Capacité d’une personne à lire et à comprendre un texte, lui permettant de maîtriser suffisamment l’information écrite pour être fonctionnelle en société.

[vi] Que faut-il faire? La prévention du suicide et de la dépression chez les individus issus de minorités sexuelles et de genre (MSG), Olivier Ferlatte, Summit 2018

[vii] Pour une introduction de l’approche structurelle en travail social, vous pouvez lire la section consacrée à cette approche dans l’ouvrage Théories et modèles d’intervention en service social des groupes, Sous la direction de Valérie Roy et Jocelyn Lindsay, Presse de l’université Laval, 2017, p. 13-39