Hé docteur, je vous trompe

Non, vous n’êtes pas le seul dans ma vie. Je sais que je devrais me tourner vers vous, mon médecin de famille, pour toute question de santé. Mais quand il s’agit de ma vie sexuelle gaie, je fréquente une autre clinique – une clinique communautaire de santé sexuelle du centre-ville.

Vous vous demandez probablement pourquoi. Honnêtement, je ne suis pas certain. Je ne me sens pas aussi bienvenu, en tant qu’homme gai, dans votre clinique que dans l’autre. Faudrait que je m’explique, tout le monde est gentil et serviable dans votre clinique, et j’apprécie vraiment l’autocollant arc-en-ciel affiché depuis l’an dernier. J’ai aussi apprécié votre réaction, la première fois que j’ai mentionné avoir un chum. Et lorsqu’il est question de ma pression artérielle, de mes reins et de mon cœur, je me sens en sécurité avec vous. Mais je pense que le sexe manque à notre relation. C’est vrai, nous ne parlons pratiquement pas de sexe. Je ne sais pas si c’est parce que ça vous rend mal à l’aise, ou si c’est moi qui est mal à l’aise d’en parler. Ou les deux. Je ne suis pas certain.

Je ne suis pas le seul à vous tromper. Je sais que ça ne devrait pas être une excuse, mais vous savez ce qu’on dit : « Un chagrin partagé est un chagrin allégé ». Un de mes fuckfriends est marié et son épouse ne sait pas qu’il baise avec des hommes. Il ne vous le dira pas, car vous êtes aussi le médecin de son épouse et de sa fille. C’est pourquoi il va aussi à l’autre clinique. Et puis il y a mon ex-chum, qui habite à une heure et demie de la ville. Sa famille est très conservatrice et ne sait pas encore qu’il est gai. Il ne vous le dira pas non plus – ni au pharmacien – car il a des cousins qui travaillent dans tous les commerces de son village. Il préfère venir en ville, à cette autre clinique, et acheter sa PrEP et ses antidépresseurs dans la pharmacie à côté. Il y a aussi mon ami débarqué au Canada récemment. Je pense qu’il vous a dit qu’il est gai, mais il ne se fait pas dépister par vous. Il préfère le dépistage anonyme puisque ça le rend moins anxieux. C’est probablement parce qu’il ne pourrait pas obtenir sa résidence permanente s’il avait le VIH. À l’autre clinique, il peut se faire dépister et avoir du counseling anonymement.

Permettez-moi de vous décrire comment je me sens avec l’autre. Je n’ai jamais remarqué s’il y a un drapeau arc-en-ciel sur place, mais il y a plusieurs photos de gars qui aiment les gars sur le site web et je trouve rapidement l’information que je cherche. Quand je téléphone à la clinique, on me demande directement et sans malaise si j’ai des relations sexuelles avec des hommes. Pour prendre rendez-vous, on me demande simplement mon prénom – pas de numéro d’identité, pas d’adresse, pas de détails, pas de vérification policière! En plus, on m’a offert plein de disponibilités, matin, soir et week-end, avec ou sans rendez-vous. Dès que j’arrive à la clinique, même si c’est en plein centre-ville, je m’y sens le bienvenu. On dirait plus un centre communautaire qu’une clinique. Les gars à la réception sont gais et je ne suis pas mal à l’aise de leur dire que ça brûle quand j’urine. Les formulaires que je remplis sont anonymes et adaptés à mon orientation sexuelle et à mon identité de genre. Dans la salle d’attente, je n’ai pas peur de croiser le voisin homophobe qui m’a intimidé tout au long du secondaire. Je n’ai pas l’impression d’être le seul à avoir des « trips » à trois avec mon partenaire, et il y a toutes sortes de lectures informatives et utiles[i] pour mes amis et moi : « Primed : Un guide sexuel pour les hommes trans qui aiment les hommes », « Alcool, drogues et milieu gai », « HAUT et FORT contre l’homophobie, la biphobie, la transphobie et l’hétérosexisme », « Vivre au positif », « L’hépatite C et le sexe pour les hommes gais, bi et queer », « Use Your Head When Giving It: Blow Job Tips », « Chicos como tú », « BDSM Jeux ‘kinky’ plus sécuritaires », « Guide pour les clients des travailleurs du sexe » et le magazine gai local.

De plus, les conversations sur le sexe avec l’infirmier, l’intervenant et le médecin sont formidables ! Je sens qu’ils m’écoutent et qu’ils ne cherchent pas seulement à éliminer les bactéries de mon système, mais qu’ils travaillent avec moi pour m’aider à avoir le sexe que je veux. Je peux parler ouvertement avec eux. Ils savent que je suis en couple ouvert avec mon chum, qu’il vit avec le VIH, que je n’utilise pas toujours le condom, que mon frère aîné ne me parle plus parce que je suis gai, que j’ai plusieurs partenaires sexuels et que j’ai un fétiche des pieds. Quand je sors de la clinique, je n’ai pas honte et je ne me sens pas coupable; je me sens libéré et motivé à prendre ma santé en main.

Je ne sais pas si on peut régler les choses et recommencer à zéro. Pouvons-nous arrêter de supposer que mes amis et moi sommes tous cisgenres, hétérosexuels et monogames? Pouvons-nous élargir notre définition de la masculinité? Pouvons-nous délaisser la morale et le stigmate entourant le sexe? Pouvons-nous faire en sorte que nos interactions écrites, verbales et non verbales soient inclusives et sans préjugés, du premier contact jusqu’au traitement et au suivi? Cela m’inciterait probablement, ainsi que mes amis, à arrêter de voir ailleurs. Ou peut-être pas. Puisque des décennies de stigmatisation ne s’effaceront pas si vite, chacun de nous sort du placard si et quand on est à l’aise. Toutefois, même si je continuais de vous tromper, vous aurez fait tout votre possible pour que je me sente bienvenu et en sécurité.

Cet article a été écrit par MAX dans le cadre de la Semaine de sensibilisation à la santé sexuelle et génésique d’Action Canada

[i] Vous pouvez télécharger gratuitement la plupart des ressources mentionnées dans cet article via www.orders.catie.ca